Le 24 avril 2016. Je suis devant la Radiotélévision Ivoirienne, suivant attentivement la prestation de Papa Wemba.
Et soudain… Le Kourou tombe ! Cette scène effroyable, qui a fait le tour du monde, était en réalité le souhait du chanteur lui-même.
1.NAISSANCE
Tout a commencé au sud du Congo, dans la région du fleuve Kasaï, où Papa Wemba est né le 14 juin 1949, à Sankuru. Il n’est pas né sous le nom de Papa Wemba ; son nom de naissance est Jules Shungu Wembadio Pene Kikumba.
Très jeune, sa famille, composée de son père Nent Kikumba et de sa mère Niondo, quitte la campagne pour s’installer en ville, à Kinshasa, afin de s’intégrer au monde moderne.
ll effectue ses études primaires à l’école Saint-Jean Berchmans, située dans le quartier Kauka, dans la commune de Kalamu.
Il poursuit ensuite ses études secondaires à l’Athénée de la Victoire, dans la même commune. Issu d’une famille très chrétienne, Jules accompagne souvent sa mère à la chorale de l’église Saint-Joseph, précisément à Kasavubu.
En 1966, le père de Jules Shungu rend l’âme. C’est à cette période que le jeune homme commence véritablement à s’orienter vers le monde de la musique, dans leur quartier de Matonge, où il est surnommé « Jules Presley ».
2.MONDE DE LA MUSIQUE
En 1969, il débute avec des prestations dans le quartier Matonge, où il habite avec plusieurs de ses amis. Il participe notamment à la naissance de Zaïko Langa Langa aux côtés de Jossart N’Yoka Longo, Evoloko, Pépé Felly et Andy Bimi Ombalé.
Au sein de cet orchestre, il signe la chanson « Chouchouna » en 1974, ainsi que « Mété la vérité ». La même année, il décide de quitter le groupe pour fonder l’orchestre Isifi Lokole avec Evoloko et d’autres musiciens, tous issus de Zaïko.
Seulement un an plus tard, en novembre 1975, il quitte Isifi Lokole en raison des tensions internes : certains membres voulaient trop s’imposer par rapport à lui. Il fonde alors un nouvel orchestre, Yoka Lokole, avec Mavuela Somo et Bozi Boziana. Leur ancien ami de Zaïko, Mbuta Mashakado, rejoint l’équipe en mars 1976.
Ensemble, ils sortent plusieurs chansons, dont « Matembelé Bangi », signée Papa Wemba, et « Maloba Bakoko », signée Mavuela.
3.AVEC SES PROPRES AILES
En 1977, Papa Wemba quitte le groupe Yoka Lokole après une dispute dans un concert pour fonder son propre orchestre, grâce notamment au soutien de Shagi Sharufa. Il le nomme « Viva la Musica », en référence au titre de Johnny Pacheco. Le siège du groupe est installé à son domicile, situé dans la rue Kanda Kanda.
Ce groupe se forme autour de plusieurs jeunes talents, dont Kisangani Espérant (cousin de Sharufa), Pépé Bipoli, Jadot le Cambodgien, Petit Aziza, Emeneya, Debs Debaba, ainsi que les guitaristes Rigo Star, Bongo Wendé, Syriana et Pinos et le batteur Otis.
Papa Wemba commence alors à utiliser le lokolé, un instrument traditionnel : « C’est un tronc d’arbre creux que l’on bat avec deux bâtons pour communiquer d’un village à l’autre. » Il décide d’intégrer cet instrument à sa musique et impose une discipline stricte à ses musiciens
Inspiré par Fela Kuti, l’inventeur de l’Afrobeat, il crée dans son quartier le Village de Molokaï, regroupant plusieurs avenues telles que Masimanimba, Oshwe, Lokolama, Kanda-Kanda et Inzia.
Ce village est une reproduction symbolique d’un village africain, avec ses propres règles et codes. Papa Wemba s’y proclame « chef coutumier ». Bien qu’ayant son propre groupe, Jules Presley rejoint également l’orchestre Afrisa International de Tabu Ley, son idole de toujours.
Il voit cette collaboration comme une occasion d’apprendre du grand maître. Ensemble, ils enregistrent deux chansons : « Ngambo Moke » et « Lèvres Roses ».
De 1977 à 1980, Papa Wemba sort plusieurs albums à succès, notamment « Mabele Mokonzi » et « Kuru Yaka », ce qui lui vaut d’être reconnu, au cours de ces mêmes années, comme l’un des représentants de la musique congolaise.
4.PREMIER DEPART
En 1981, deux jeunes talents sont présentés à Papa Wemba pour intégrer son groupe : Reddy Amisi et Koffi Olomide. Cependant, il décline cette offre, faisant déjà confiance à son équipe bien solide.
Vers 1982, le Kuru fait face à plusieurs problèmes, notamment financiers, qui affectent son orchestre. Le 24 décembre, douze de ses musiciens quittent Viva La Musica pour fonder Victoria Eleison, avec le soutien de Verkys Kiamuangana et de l’écurie Vévé.
Papa Wemba avait une grande confiance en Kester Emeneya, au point de lui permettre de vivre dans la parcelle où avaient lieu les répétitions du groupe. Pourtant, à sa grande surprise, son fidèle et talentueux lieutenant quitte Viva La Musica, emmenant avec lui près de la moitié des musiciens.
Après cette vague de départs, Papa Wemba se ressaisit et intègre plusieurs jeunes talents au sein de son groupe, dont Rémy et Antoine, l’année suivante. En essayant de pousser ses nouvelles recrues à rivaliser avec Emeneya, Viva La Musica sort le titre « Ceci Cela » de Lidjo Kwempa.
La chanson devient l’un des morceaux les plus écoutés de l’année. En 1986, Shungu sort l’album « L’Esclave », et l’année suivante, il collabore avec Stervos Niarcos sur l’album « Dernier Coup de Sifflet ».
Il faut savoir que Stervos Niarcos est considéré comme le fondateur officiel de la Sape moderne et de la religion « Kitendi », tandis que Papa Wemba popularise le mouvement.
Certaines sources suggèrent même que le terme « Sape » aurait été inventé par Papa Wemba lui-même. La même année, il décroche le rôle principal dans le film belgo-zaïrois « La Vie est Belle » de Ngangura Dieudonné Mweze et Benoît Lamy. Il compose lui-même la majeure partie de la bande musicale.
Cette année-là, Wemba s’ouvre à l’horizon mondial. De nouvelles opportunités se présentent, notamment un contrat avec World Music, qui marque ses débuts sur la scène internationale. Il sort alors le titre « Siku ya Mungu », un morceau aux sonorités funk, disco et pop, qui reçoit des critiques favorables dans la presse francophone européenne.
Cependant, cette nouvelle orientation musicale le rend méconnaissable auprès du public congolais… En 1989, il sort également des titres comme « Est-ce que » et « Sai Sai ».
5.ANNEE 90
En 1991, Papa Wemba sort l’album « Le Voyageur », produit par Real World, le label du célèbre chanteur britannique Peter Gabriel. On se souviendra toujours du refrain « Eseke li na yo Maria Valencia eh eh eh », extrait de cet album qui compte neuf titres.
Grâce à Peter Gabriel, Papa Wemba assure les premières parties de sa tournée américaine et européenne, se produisant devant des milliers de spectateurs. Délaissant un peu la rumba congolaise, il sort en mars 1995 l’album « Émotion », qui comprend onze titres. Cet album se vend comme des petits pains et obtient même un disque d’or aux États-Unis à l’époque.
L’album mélange notamment la rumba, le folk et la pop. Le titre « Yolele » en est un parfait exemple, réalisé en collaboration avec Lokua Kanza.
N’ayant pas abandonné la rumba congolaise, il sort également en 1995 un album Best of, comprenant notamment le titre phare « Kaokokokorobo », inspiré d’un moment unique du mouvement Shegué Chance Eloko Pamba.
L’année suivante, il collabore avec son ancien musicien Koffi Olomide sur l’album « Wake Up », sorti en 1996. Bien que cet album n’ait pas eu un grand impact à l’époque, faute de promotion, il est aujourd’hui considéré comme l’un des meilleurs albums collaboratifs entre deux artistes longtemps perçus comme rivaux.
Grâce à ses nombreuses réalisations, il reçoit en 1996 le prix Kora du Meilleur Artiste Masculin d’Afrique. Il écrit ensuite, avec l’aide de Souzy Kaseya, la chanson « Franc Congolais », qui réunit une dizaine d’artistes congolais influents de l’époque. L’année suivante, le 11 juillet 1998, il sort l’album « Molokaï », qui comprend onze titres.
En 1999, Papa Wemba monte encore en puissance avec l’album « Fula Ngenge », qui contient des titres mythiques comme « Maman ». Cette chanson est un vibrant hommage aux sacrifices consentis par sa mère pour l’élever.
Elle met en avant le rôle fondamental de la femme dans la société : éduquer et protéger. À ce jour, aucune chanson congolaise n’a autant honoré une mère. En général, les artistes congolais chantent davantage pour leurs épouses que pour leurs mères.
L’album contient également le titre « Maria », ainsi que « Phrase », où Papa Wemba évoque sa vie de couple, le début de son aventure amoureuse avec sa tendre épouse Marie-Rose Luzolo, alias Amazone, la famille qu’ils ont fondée et les épreuves qu’ils ont traversées ensemble.
Avant de poursuivre, il convient de rappeler que plusieurs artistes congolais de renom ont fait un passage par Viva La Musica, notamment Fafa de Molokaï, Djuna Djanana, Dindo Yogo, Maray Maray, Stino Mubi, pour ne citer que ceux-là.
6.AFFAIRE VISA
En 2003, Papa Wemba est soupçonné d’être impliqué dans une affaire de trafic de visas et d’aide à l’immigration clandestine, en raison de ses tournées musicales entre la République démocratique du Congo, la France et la Belgique.
Avant son concert « Bakala Dia Kuba », il avait déjà obtenu un grand nombre de visas pour voyager en Europe. Cependant, après l’événement, de nombreuses personnes se présentent avec des visas censés être dédiés à son concert, ce qui alimente les soupçons des autorités.
Le 17 février 2003, il est arrêté à Paris et incarcéré pendant trois mois et demi. Le 16 novembre 2004, le tribunal correctionnel de Bobigny (France) le condamne à trente mois de prison, dont quatre mois fermes (déjà purgés en 2003), ainsi qu’à une amende de 10 000 €, pour « aide au séjour irrégulier de clandestins sous couvert de ses activités musicales ».
7.SE REFAIRE
Après cet événement, il reprend courage et sort en 2006 l’album « New Morning », contenant 15 titres, dont la chanson « Ye Te Oh ».. En 2008, Papa Wemba sort l’album « Kaka Yo » avec les musiciens de Viva la Musica. Il réunit autour de lui une quinzaine de jeunes artistes, à qui il donne leur chance en les invitant à chanter sur cet opus collectif.
En 2014, il revient avec l’album « Maître d’école », un projet 100 % rumba qui prouve que ce genre musical n’a pas pris une ride depuis son apogée. Sa dernière contribution à la musique est l’album « Forever de Génération en Génération », sorti en octobre 2016, après sa mort.
Cet album, contenant 12 titres, a été réalisé en collaboration avec Sekouba Bambino, Nathalie Makoma, MJ 30 et Diamond Platnumz.
8.SOUHAIT DE L’ARTISTE
Pour illustrer la suite de notre histoire, revenons en 2016.
Le 10 mars 2016, sur le plateau de l’émission Afronight animée par Serges Fattoh sur Telesud, Papa Wemba évoquait déjà son souhait de finir sa vie sur scène. Revenons en avril 2016. Papa Wemba est invité au grand festival Femua à Abidjan.
Quelques mois après sa sortie de l’hôpital, il se sent suffisamment fort pour donner un autre concert à l’âge de 66 ans. Il monte sur scène à 5 heures du matin, le dimanche 25 avril. Après seulement 15 minutes de prestation, la musique ne s’arrête pas immédiatement, mais l’artiste congolais Papa Wemba s’effondre au milieu du concert.
Alors qu’il chantait la troisième chanson, il s’est écroulé. Les musiciens, les danseuses et l’équipe médicale se précipitent autour de lui. Papa Wemba est allongé par terre. Ils l’installent dans l’ambulance et le transportent rapidement à l’hôpital Hôtel Dieu de Treichville, à l’unité de soins intensif.
Dans le hall de l’hôpital, Cornely Malongi, le manager de Papa Wemba, et Bazoumana Coulibaly, collaborateur de Hamed Bakayoko et A’salfo, sont présents à ses côtés.
En fin de matinée ce dimanche, A’Salfo, leader du groupe ivoirien Magic System, et le ministre ivoirien de la Culture, Hamed Bakayoko, tiennent une conférence de presse pour confirmer le décès du baobab de la rumba.
9.RETOUR AU PAYS
C’est aux alentours de 9h35 (heure de Kinshasa) que l’avion Patrice-Emery Lumumba de la compagnie nationale Congo Airways, transportant la dépouille de Papa Wemba, a atterri, jeudi 28 avril, à l’aéroport international de N’Djili.
À l’extérieur de l’aéroport, des Congolais se sont rassemblés en grand nombre pour saluer l’arrivée de la dépouille de leur idole, avant de lui rendre un dernier hommage. Le lundi 2 mai, l’exposition de son corps a eu lieu sur l’esplanade du Palais du Peuple.
Au cours de la cérémonie, retransmise en direct à la télévision congolaise, le président Joseph Kabila a décoré à titre posthume le célèbre musicien de la médaille de grand officier de l’ordre national des Héros nationaux Kabila-Lumumba, la plus haute distinction nationale.
Plusieurs membres du gouvernement étaient présents à la cérémonie. Les funérailles de Papa Wemba ont débuté le lundi 2 mai au Palais du Peuple, où la dépouille du roi de la chanson congolaise a été exposée pendant quelques heures pour un hommage officiel.
Les funérailles de l’une des plus grandes stars de la musique africaine se sont poursuivies jusqu’au mercredi à Kinshasa, la capitale de la République Démocratique du Congo.
Dans la cathédrale Notre-Dame du Congo, près de 2000 personnes ont assisté à cette messe, célébrée par le Cardinal Monsengwo Passinya, entouré de plusieurs évêques et prêtres.
La cathédrale, ne pouvant contenir toute la foule, a vu des milliers d’autres personnes se masser à l’extérieur. Dès la sortie de la cathédrale Notre-Dame du Congo, la foule a tenté d’approcher la dépouille mortelle de Papa Wemba.
Une fois le convoi parti, la population s’est massée tout le long du célèbre boulevard Lumumba. L’ambiance était complètement folle dans les quartiers populaires : Lingwala, Kasavubu, Matongé — le fief de Papa Wemba — mais aussi à Limete et Matété…
La mise en terre s’est avérée compliquée. La foule s’est massée autour de la tombe, la pression montait. Le cercueil blanc et or a été déposé, une fleur jetée à la va-vite, et la famille Wemba a quitté les lieux rapidement.
10.QUI A TUE PAPA WEMBA
À Abidjan, la polémique autour du décès de Papa Wemba enfle sur la toile. De plus en plus de rumeurs circulent, évoquant un sacrifice humain, un crime rituel, voire un empoisonnement.
Cependant, selon les sources médicales, il a été précisé que la cause réelle de sa mort était un infarctus massif, qui se manifeste par une contraction brutale du cœur, stoppant immédiatement ses battements.
D’autres sources, pointent une théorie selon laquelle le micro de Papa Wemba aurait été changé lorsqu’il s’adressait au public. En effet, certains affirment que, pendant que l’artiste s’écroulait après son malaise, une personne serait montée rapidement sur scène non pas pour lui porter secours, mais pour retirer le micro à tige et s’enfuir avec.
Cette version a toutefois été démentie par son manager, ainsi que par la version médicale officielle de l’incident. Pour résumer, durant toute sa carrière, Papa Wemba a démontré que tout le monde peut rêver et réaliser ses rêves. Venant d’un petit village, il a su dominer la scène musicale congolaise et internationale.