Quand on fait la liste des pères de l’indépendance du Congo, il est parmi ceux qui figurent en tête.Pourtant, malheureusement, son histoire n’est pas racontée comme il se doit. Il n’est pas véritablement élevé à son juste niveau. Pourquoi n’est-il pas reconnu comme un héros national ?
Là où tout commence
L’histoire de Kasa-Vubu commence en 1917, comme en témoigne son enfant, à Dizi, près de Tshela centre, dans le Mayombe, au Kongo-Central.Il est le septième enfant du couple Mvubu et Mavungu. Son nom de naissance était K’hasa Mvubu, comme vous le voyez à l’écran.
Mais après avoir intégré une congrégation catholique, il prend le nom officiel de Joseph Kasavubu à l’âge de 7 ans. Le nom “Kasa” désigne le poison d’épreuve – équivalent du “jugement de Dieu”, ce qui aura réellement un impact dans sa vie.
À l’âge de 12 ans, il est baptisé dans une église catholique le 32 janvier (date à vérifier), et obtient le nom de Joseph, à la mission Scheutiste de Kizu, près de Tshela. Il fait ses études au petit séminaire de Mbata-Kiela.
Ensuite, il part au Kasaï pour poursuivre ses études supérieures en vue de devenir prêtre catholique.
Cependant, tout ne se passe pas comme prévu, car il est jugé trop indépendant et trop critique pour entrer dans le sacerdoce. Après cette expérience ratée, il devient enseignant, mais le salaire ne lui convient pas non plus.
Il épouse alors, le 10 octobre 1941, Hortense Ngoma Masunda, lors d’un mariage religieux célébré à la mission de Kangu. Le couple aura neuf enfants, dont nous parlerons un peu plus tard.
En 1942, il travaille comme employé dans la Société forestière et agricole du Mayombe (Agrifor), à Tshela. Après un an de travail à l’Agrifor, il est engagé, en juin 1942 et sur sa propre demande, à Léopoldville, dans l’administration coloniale,au service des finances, où il devait plus tard exercer une fonction jusqu’alors réservée aux Européens.
ABAKO et vie politique
En 1947, Kasavubu, devant plusieurs hommes influents, défend ses idées anticolonialistes. Il est le premier Congolais à réclamer des droits aux Blancs pour son peuple, et cela, bien avant Lumumba.
En 1949, avec Edmond Nzeza Nlandu, il fonde l’ABAKO : l’Association des Bakongo pour l’unification, la conservation et l’expansion de la langue Kongo.
Cette association vise à défendre les droits des citoyens originaires du Bas-Congo ainsi que la langue kikongo. Cette organisation jouera par la suite un rôle majeur dans le parcours politique de Joseph Kasavubu — ce que nous verrons un peu plus tard.
Six ans après sa création, soit vers 1954, l’ABAKO se transforme en parti politique, en se renommant « Alliance des Bakongo ». Ce n’est plus une simple association, mais désormais une véritable alliance tournée vers les enjeux politiques.
Combat pour l’indépendance
Les tensions émergent dans le pays. Plusieurs figures commencent déjà à parler de l’indépendance du Congo. Mais la Belgique, de son côté, refuse d’en entendre parler, estimant que le Congo n’est pas encore suffisamment mûr pour se gérer lui-même.
Ainsi, en 1956, Van Bilsen publie un texte intitulé Un plan de trente ans pour l’émancipation de l’Afrique belge. Kasavubu réagit fermement à ce plan.
Il réclame l’indépendance immédiate, au nom de l’ABAKO et du groupe congolais de la conscience africaine, composé notamment de Malula, Iléo, et d’autres figures importantes.
Par cet acte, l’ABAKO devient le premier parti politique à demander officiellement l’indépendance du Congo, s’imposant alors comme un acteur majeur dans la sphère politique du Congo belge.
En 1957, Kasavubu réussit à devenir bourgmestre de la commune de Dendale (appelée aujourd’hui commune Kasa-Vubu), vue que son parti a plus de 60 % de la population de Léopoldville.
À l’époque, Kinshasa n’était pas comme aujourd’hui. Il y avait une majorité de Né-Kongo, bien plus que de personnes venues d’autres provinces.
Kasavubu devient ainsi le premier Noir à atteindre un tel poste, après une élection largement remportée par l’ABAKO à Léopoldville.
Lors de son intronisation, le 20 avril 1958, Kasavubu prononce un discours politique qui lui vaudra un avertissement du gouverneur de la province.
Cette position lui permet notamment de multiplier les discours en faveur de l’indépendance immédiate du pays.
On veut l’indépendance
Dans les années 50, plusieurs événements majeurs se sont déroulés. Après le meeting réussi de Lumumba le 28 décembre 1958, l’ABAKO programme également son propre meeting, au même lieu — le YMCA — le 4 janvier 1959, afin de ne pas perdre son monopole sur Kinshasa.
Le jour J, alors que le meeting est annulé par le bourgmestre de la ville, les abakistes se présentent tout de même en grand nombre sur les lieux. La foule souhaite entendre, de la bouche même de leur leader, l’évolution de la situation du pays concernant l’indépendance.
Joseph Kasavubu, conscient que le meeting a été annulé, prononce simplement un bref discours. Il informe la foule qu’il faut d’abord attendre la déclaration du gouvernement belge prévue pour le mardi 13 janvier 1959.
Mais la foule, mécontente, s’agrandit avec l’arrivée de supporters de l’AS Victoria Club, sortant du stade Tata Raphaël après la défaite de leur équipe.
Pour exprimer leur colère face à l’annulation du meeting et au retard pris dans le processus d’indépendance, de nombreux partisans s’en prennent alors aux édifices coloniaux, commerces et magasins appartenant aux Blancs.
S’en suivent des affrontements sanglants avec les forces de l’ordre, lourdement armées. Ces émeutes font plusieurs morts et blessés, surtout parmi les manifestants. Il faudra six jours pour que la ville retrouve son calme, avec un lourd bilan de plus de trois cents morts et d’importants dégâts matériele.
L’Église catholique est particulièrement visée : plusieurs paroisses sont même saccagées. Les principaux leaders de l’ABAKO sont arrêtés, et le président Kasavubu est démis de ses fonctions de bourgmestre de Dendale.
Toutefois, ils seront rapidement libérés, dès le 14 janvier, après de fortes pressions venues de différentes parties.
Table ronde
Après que les tensions s’est apaisées, 20 Janvier 59, La Belgique a alors ouvert des négociations avec les forces politiques locales, négociations dites de la « Table ronde de Bruxelles », pour une indépendance immédiate.
Lors de la Table ronde de Bruxelles, Joseph Kasa-Vubu en sa qualité de président de ce front commun, demande la libération immédiate de Patrice Lumumba et sa participation à la Table ronde, menaçant de quitter lui-même la Table ronde.
Lumumba est incarcéré en ce moment à la prison de Stanleyville pour un prétendu détournement des fonds de la société qui l’employait au profit de son parti politique. Grâce à son intervention, Lumumba a été libéré et a rejoint la Table ronde en Belgique.
La table ronde s’est bien déroulée, mais les participants n’ont pas trop leur indépendance immédiate, il trouve d’ailleurs une date proche pour cette indépendance tant attendu. La conclusion de la table ronde est que le colon fixe la date de l’indépendance pour le 30 Juin 1960.
La population apprend la nouvelle par la radio qui diffuse, pour la première fois, la chanson préparée pour la circonstance par le chanteur Kabasele et l’African Jazz « Indépendance cha cha tozui, Kipwanza cha cha tubakidi… ,m
Le jour de l’indépendance
L’indépendance de la République du Congo (Congo-Léopoldville) est proclamée le 30 juin 1960, avec Joseph Kasa-Vubu comme Président de la République et Patrice Lumumba comme Premier ministre.
Il faut savoir que des élections législatives, sénatoriales et provinciales se sont déroulées du 11 au 22 mai 1960, et ce sont ces élections qui permettront à Joseph Kasa-Vubu d’accéder à la présidence, battant Jean Bolikango lors du premier Parlement congolais. Il est élu chef de l’État par les deux chambres réunies, avec 159 voix sur 216, face à Bolikango.
Problème avec Lumumba
Le lendemain de la proclamation, par Moïse Tshombe, de la sécession katangaise le 11 juillet 1960, le président Kasa-Vubu et le Premier ministre Lumumba décident courageusement de prendre l’avion pour se rendre à Lubumbashi (Élisabethville), afin de mettre un terme à « l’aventure » de Tshombe.
Cependant, arrivés au-dessus de l’aéroport de Loano, le commandant Guy Weber, à la tête du contingent belge déployé à Lubumbashi depuis le 10 juillet 1960 en provenance de la base de Kamina, leur refuse l’autorisation d’atterrir.
À la suite de cet incident, Joseph Kasa-Vubu et Patrice Lumumba concluent que la Belgique est derrière la sécession du Katanga, dans le but de diviser le pays.
Ainsi, le 12 juillet 1960, les deux leaders congolais signent ensemble, depuis Kindu, un télégramme adressé au Conseil de sécurité des Nations Unies, demandant une aide militaire contre l’agression belge sur le territoire national.
Dans la nuit du 12 au 13 juillet 1960, le Conseil de sécurité adopte la résolution 143, demandant à la Belgique de retirer ses troupes de la République du Congo et décide d’envoyer des casques bleus.
En plein accord avec le président Kasa-Vubu, Patrice Lumumba, le 14 juillet 1960, rompt les relations diplomatiques avec la Belgique et, le même jour, envoie un télégramme au président de l’URSS, Nikita Khrouchtchev.
Pour certains Américains, notamment les responsables de la CIA, ce télégramme envoyé à Moscou était perçu comme un acte de trahison, marquant symboliquement l’arrêt de mort de Lumumba.
Dès lors, les pressions extérieures — particulièrement américaines et belges — s’intensifient sur le président Kasa-Vubu, afin qu’il démette le Premier ministre.
C’est ainsi que, le 5 septembre 1960 à 20h, le président Kasa-Vubu annonce en direct à la radio nationale, et à la surprise générale, la révocation de Patrice Lumumba.
Une heure plus tard, Lumumba, à son tour, prend la parole sur la même radio, pour révoquer le président de la République ! Ce bras de fer entre les deux hommes les plus puissants du pays donne lieu à une crise majeure, et Mobutu, alors chef de l’armée, décide de prendre ses responsabilités. Il arrête Lumumba… et la suite, nous la connaissons.
L’histoire de l’arrestation de Lumumba est mieux racontée dans cette vidéo. N’oubliez pas de la revoir.
Coup d’État militaire de novembre 1965 et décès en 1969
Kasa-Vubu règne sur un Congo en proie à de multiples crises. Le 29 septembre 1963, il prend la décision de dissoudre le Parlement, estimant que le gouvernement de Cyrille Adoula est incapable de faire face aux rébellions armées, notamment celle de Pierre Mulele dans le Kwilu à l’ouest et celle de Christophe Gbenye et ses Simba à l’est.
En 1964, Kasa-Vubu nomme Moïse Tshombe, alors en exil, au poste de Premier ministre, à la tête d’un gouvernement de coalition.
Entre mai et juin 1965, des él tuections législatives sont organisées, et la coalition CONACO dirigée par Tshombe remporte une large majorité. Le 13 octobre 1965, le président Kasa-Vubu, candidat à sa propre succession, prend une décision controversée : il révoque Moïse Tshombe, bien que ce dernier dispose d’une solide majorité parlementaire.
Cette décision marque le début de sa chute politique. À sa place, il nomme Évariste Kimba comme Premier ministre, mais le Parlement, dominé par les pro-Tshombe, refuse catégoriquement de lui accorder l’investiture.
Dès lors, un nouveau bras de fer s’installe au sommet de l’État, rappelant les tensions de 1960 lorsque Kasa-Vubu avait limogé Patrice Lumumba.
Le 20 novembre 1965, le général Joseph-Désiré Mobutu reçoit de Kasa-Vubu l’autorisation de convoquer à Kinshasa tous les commandants des grandes unités de l’ANC, à l’occasion du 1er anniversaire de la libération de Kisangani (le 24 novembre 1964).
Mais Mobutu en profite pour exécuter son deuxième coup d’État militaire, affirmant vouloir rétablir l’ordre dans le pays.
À la réception de sa lettre de destitution, signée par Mobutu lui-même, le président Kasa-Vubu accepte sans résistance, souhaitant éviter une effusion de sang et préférant se retirer. Après ce coup d’État, Joseph Kasa-Vubu est placé en résidence surveillée par Mobutu. Le 29 septembre 1966, il est nommé sénateur à vie par le Sénat, un titre symbolique sans réel pouvoir.
La mort de Joseph Kasa-Vubu
Isolé dans la discrétion avec sa famille, Joseph Kasa-Vubu meurt le 24 mars 1969 à 10h53, à l’âge de 52 ans, à la clinique de Boma, des suites d’une hémorragie cérébrale.
Sur décision du gouvernement, et en l’absence du président Mobutu, alors en voyage officiel en Europe, une journée de deuil national est décrétée. Son corps est acheminé par avion à Kinshasa. Une émouvante veillée funèbre est organisée au Palais de la Nation…
Le mercredi 26 mars 1969, a lieu la levée de la dépouille mortelle, accompagnée d’une oraison funèbre prononcée par le représentant du Chef de l’État en son honneur.
Vers midi, une messe de requiem est célébrée à la Cathédrale Notre-Dame de la commune de Saint-Jean, par le Nonce apostolique Mgr Bruno Torpigliani.
Après la messe, la dépouille mortelle, placée sur une Jeep recouverte du drapeau national et escortée par des motards, est transportée à l’aéroport de Ndjili, d’où elle s’envole pour Matadi.
Le jeudi 27 mars 1969, le corps du président Kasa-Vubu est inhumé dans son village natal de Kikuma-Dizi, dans le territoire de Tshela, au Mayombe, en présence d’une délégation officielle composée de membres du gouvernement, du Bureau politique et d’officiers supérieurs de l’armée.
Héritage
Il laisse derrière lui son épouse, Hortense Ngoma Massunda, et dix enfants, parmi lesquels on peut citer : Adolphe, Marie-Rose, Flavien, Justine Kasa-Vubu, et bien d’autre.
Premier président de la République démocratique du Congo, Joseph Kasa-Vubu incarne l’un des visages du nationalisme congolais, bien qu’il ait par la suite été proche de Mobutu et considéré comme un allié des intérêts belges.
Beaucoup lui reprocheront d’avoir fait trop confiance à Mobutu, qui finira par le trahir en 1965 lors de son coup d’État.
Il ne sera officiellement honoré qu’en 2020, lorsqu’il est élevé au rang de Héros national aux côtés de Patrice Lumumba, par le président Félix Tshisekedi.