À 20 ans seulement, elle joue déjà dans le spectacle du combat du siècle. Abeti Masikini, c’est trois fois l’Olympia, une fois le Zénith de Paris, plusieurs tournées en Amérique, plusieurs stades en Afrique.
La barre est tellement haute qu’aucune artiste féminine congolaise n’a fait mieux qu’elle, même après sa mort.
1.Naissance
Le 9 novembre 1954, une belle petite fille, Élisabeth Finant, voit le jour à Kisangani, en République démocratique du Congo. Fille de Jean-Pierre Finant et Marie Masikini, elle grandit dans une famille de huit enfants.
Très tôt, la jeune Élisabeth apprend le piano grâce à son père, un métis belgo-congolais, en fréquentant la chorale d’une église catholique. À seulement six ans, son père, politicien proche de Lumumba, est assassiné en 1961 à Mbuji-Mayi.
Après cet événement tragique, la famille Finant rejoint la capitale. La jeune Abeti intègre le lycée Sacré-Cœur, devenu aujourd’hui le lycée Bosangani.
Elle décroche ensuite un emploi comme secrétaire au cabinet du ministre de la Culture, Pierre Mushete. C’est durant cette période qu’elle obtient le surnom de « Betty ». Passionnée de musique, elle participe en 1971 à un concours de chant organisé par Gérard Madiata. Elle réussit à se classer troisième dans la compétition.
2.Vers la musique
Cette compétition est un déclic pour sa vie. Elle monte ensuite un groupe avec l’aide de ses proches, appuyée par son jeune frère guitariste, Jean Abumba. Elle prend son surnom de « Betty », associé à son nom de famille, devenant ainsi « Betty Finant ».
La même année, en 1971, elle fait la connaissance d’un Togolais, Gérard Akueson, manager et producteur, qui deviendra son compagnon un an plus tard.
Mais le producteur n’était à Kinshasa que pour un temps limité, venu pour la production de Bella Bellow. Il promet cependant à Betty de revenir spécialement pour la produire. Au Zaïre, Mobutu prône le retour à l’authenticité, et la jeune Betty adopte alors le nom musical d’Abeti Masikini.
Quelques mois plus tard, Gérard tient sa promesse. Abeti se produit alors au Bénin, en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso (Haute-Volta), au Togo, au Niger, en Guinée, au Ghana et au Nigeria, devant des milliers de personnes, tout cela sans avoir encore sorti d’album.
À Kinshasa, elle reste encore une inconnue aux yeux du public. En 1973, elle sort son premier disque sous la production de Pierre Cardin. L’album comprend des titres comme Mutoto Wangu, Bibile, Aziza, Miwela, Safari et Papy Yaka. Mais un bémol : son style mélodique blues, soul et folk ne séduit pas vraiment le public kinois.
Dans la sphère musicale congolaise, elle est directement cataloguée comme une « étrangère », en raison de son accent swahili marqué et de sa voix métissée.
Abeti doit convaincre le public de sa terre natale. Elle multiplie les apparitions à la télévision avec son groupe Les Redoutables et ses danseuses, Les Tigresses.
Bien que peu populaire au Zaïre, son manager, confiant, lui décroche un contrat pour l’Olympia de Paris en 1973, avant même la sortie de son premier 33 tours.
Le 19 février 1973, la jeune chanteuse fait sensation à l’Olympia devant un public majoritairement blanc, attiré par son style et sa voix.
Elle devient ainsi la première femme africaine à se produire à l’Olympia de Paris. Avant son concert à Paris, elle propose un spectacle au Sénégal, intitulé « Soleil », devant le président Léopold Sédar Senghor.
L’année suivante, le 19 juin 1974, elle se produit aux États-Unis, au Carnegie Hall de New York. Quelques mois plus tard, alors qu’elle n’a que 20 ans, elle partage déjà la scène avec des légendes comme James Brown, Myriam Makeba, Tabu Ley et Franco Luambo
lors du spectacle d’ouverture du célèbre combat Mohamed Ali vs. George Foreman à Kinshasa, sur invitation de Mobutu. Toutes ces réalisations avec un seul album !
L’année suivante, elle ne se repose pas : elle sort son deuxième album, intitulé « La Voix du Zaïre », avec l’objectif de conquérir enfin le public zaïrois.
L’album comprend des titres comme Likayabo, Yamba Yamba, Kiliki Bamba, Naliku Penda, Ngoyaye Bella Bellow, etc. Vous l’aurez compris, elle veut séduire le public de son pays. Son succès fait trembler l’Afrique. Ses performances impressionnent tellement les producteurs qu’ils la rappellent pour une nouvelle invitation.
Ainsi, en avril 1975, elle est de nouveau conviée à l’Olympia par Bruno Coquatrix, pour deux soirées exceptionnelles. Deux ans, deux passages dans cette salle mythique de Paris, alors qu’elle n’a encore que 20 ans !
Elle reçoit alors le surnom de « La Tigresse », en raison de sa puissance vocale et de son charisme sur scène. L’année suivante, elle sort un autre album, « Abeti à Paris », produit par Pathé Marconi, qui contient la célèbre chanson « Mwana Muke Wa Miss ».
3.Ma musique pose problème ?
Depuis qu’on a commencé à parler d’elle, Abeti Masikini s’intéresse davantage à la scène internationale qu’à la scène congolaise.
Cela lui vaut ses premières critiques ouvertes : on la juge de ne pas faire de la « pure musique congolaise ». Pendant ce temps, une autre artiste féminine monte en puissance : M’Pongo Love. Elle deviendra sa rivale musicale. Les Kinois commencent alors à les comparer.
Son manager réussit à décrocher un concert à Kinshasa, mais elle doit partager la scène avec M’Pongo Love. Elle accepte le défi. Deux styles de musique, mais un seul public, au Ciné Palladium. Le résultat est sans appel : M’Pongo Love écrase la notoriété d’Abeti Masikini grâce à son titre « Pas possible Maty », sorti en 1976, qui fait déjà un carton à Kinshasa.
Après ce concert, Abeti Masikini comprend que le public congolais n’est pas très fan de son style blues-folk, et que le swahili, peu parlé à Kinshasa, constitue un frein à son succès. Désormais, elle vise le public lingalophone avec son quatrième album, portant son nom, qui comprend des chansons dans un style plus adapté, comme Bilanda-Landa, Kizungu-Zungu, Inquiétude, Banana, etc.
Mais malheureusement, seule la chanson « Kizungu-Zungu » parvient réellement à séduire le public kinois, notamment les enfants, qui la surnomment même « Tantine ».
4.Le public tant voulu
En 1977, la Tigresse part pour Paris afin d’enregistrer son nouveau disque « Visages », produit par Slim Pezin. Dans cet opus, elle ne perd pas son originalité : elle chante en swahili, en lingala, mais aussi en français.
Elle entame ensuite une grande tournée en Afrique de l’Ouest, où sa musique fait un véritable carton. À son retour à Kinshasa, elle lance une vaste campagne publicitaire pour promouvoir son dernier album. Grâce à cette stratégie, son album rencontre un énorme succès, notamment auprès des Kinois.
Sa musique finit par convaincre tout le monde : Tantine n’a plus de barrières de public. Dès 1978, elle enchaîne les succès fous. Son sixième album comprend plusieurs titres marquants, dont « Ngblimbo » et « Singa Mwambe ».
Elle collabore également avec le Tout-Puissant OK Jazz de Franco Luambo Makiadi pour l’enregistrement de deux singles : « Na Pesi Yo Mboté » et « Bifamuri », deux chansons aux arrangements purement congolais.
Ces deux titres élargissent son public, notamment auprès des amateurs de rumba pure à la Franco. Des deux rives du fleuve Congo, personne ne résiste à la touche du grand Franco, ce qui permet à Abeti d’être enfin reconnue sur la scène rumba en 1979.
5.Les années rumba
À 27 ans, en 1981, elle totalise dix ans depuis le début de sa carrière. Elle sort alors « Dixième Anniversaire », avec l’arrangeur Sammy Massamba.
Sa collaboration avec Franco lui donne un véritable goût pour la rumba congolaise. L’album contient des titres très proches de la rumba, et « Chéri Badé » devient un succès incontestable au sein de la communauté congolaise.
Personne n’ose remettre en question ce morceau : Abeti a beaucoup appris du grand maître. Dès la sortie de cet album, la Tigresse se tourne radicalement vers la rumba congolaise et entre dans le cercle privé des grands noms du genre.
En 1982, elle sort « I Love You », un succès dans tout le Zaïre. L’album s’écoule rapidement, avec plus de 300 000 exemplaires vendus à travers le monde.
Entre 1984 et 1986, elle s’installe dans la capitale togolaise. Depuis le Togo, elle part à Paris pour enregistrer l’album « Je suis fâchée » en 1986, un immense succès, malgré son absence prolongée de la scène.
S’ensuit l’album « En colère », qui reçoit un Maracas d’or, notamment grâce à sa chanson « Scandale de jalousie », un tube aux Antilles et en Afrique de l’Ouest. Le 24 septembre 1988, elle monte sur la scène du Zénith devant plus de 5 000 spectateurs. Le concert est même diffusé en direct sur RFI.
En 1989, elle part en tournée en Chine, où elle enchaîne 17 galas devant des milliers de spectateurs. Elle se produit aussi dans les plus grandes salles aux États-Unis.
6.La lumière dans la musique
Avant de continuer notre histoire, nous allons vous donner la liste des artistes connus qui sont passés par la Tigresse.
On retrouve notamment Mbilia Bel, qui a été choriste pendant cinq ans, Lokua Kanza comme guitariste, Tshala Muana en tant que danseuse pendant trois mois, ainsi que Lambio Lambio. Pour ne citer que ces quatre noms que tu peux facilement reconnaître. Mais il y en a eu bien d’autres.
Abeti a vécu avec son compagnon et producteur musical, Gérard Akueson, de 1972 à 1994. Ils officialisèrent leur union à Paris en 1989.
Elle était la mère de quatre enfants : Yolande, décédée à l’âge de 47 ans, Gérard Badé, Germaine (sa fille adoptive) et Harmony.
7.La fin
En 1990, Abeti Masikini sort l’album La Reine du Soukous, avec des titres comme Bébé Matoko, Mupenzi, Malu, et une reprise de son ancien succès Mwana Muke Wa Miss.
Elle donne plusieurs spectacles, notamment au Palais du Peuple en décembre 1990. Le public la verra pour la dernière fois avec un micro dans la salle LSC à La Plaine Saint-Denis, lors de la nuit du réveillon 1993. En coulisses, la Tigresse lutte contre le cancer qui ronge son corps.
Dans les mois qui suivent, plus aucune nouvelle de l’artiste : elle séjourne alors à Paris pour suivre un traitement. Mais malheureusement, le 28 septembre 1994, à Villejuif, dans la banlieue parisienne, elle s’éteint à l’âge de 40 ans. Elle n’a pas réussi à vaincre le cancer.
Le corps de la star est rapatrié à Kinshasa le 9 octobre 1994. Lors de ses funérailles, elle est honorée à titre posthume par une médaille de l’Ordre national du Léopard.
Le jour suivant, soit le 10 octobre, elle est inhumée au cimetière de la Gombe, entourée de nombreux musiciens, personnalités, membres de sa famille et de nombreux fans venus lui rendre un dernier hommage.
Abeti Masikini a révolutionné la musique congolaise avec son mélange de plusieurs rythmes. Elle est l’une des rares stars féminines à avoir atteint un tel niveau de reconnaissance en Afrique. Cependant, même 29 ans après sa disparition, ses œuvres musicales continuent de marquer les esprits et de faire parler d’elle.